L’accès à la terre pour une fille ou une femme burundaise est une équation à plusieurs inconnues. Entre coutumes discriminatoires, préjugés et stéréotypes, sans oublier l’absence de loi sur la succession, notre collègue Franck Arnaud Ndorukwigiradresse l’état des lieux du droit foncier pour la femme burundaise, et en décortique les causes.

Faisons parler les chiffres en premier. Selon ledernier recensement général de la population et de l’habitat de 2008, sur 80,2% des propriétaires fonciers, ils étaient 62,5 % des hommes contre 17,7% des femmes.En juillet 2015, lors d’une analyse du niveau de certification des droits fonciers de la femme dans 40 services fonciers visités, sur les 89240 demandes de certificats fonciers qui avaient été reçus, seul 6 797 demandes avaient été introduites par les femmes, soit 7,6%.Et dans cette même analyse de 2015, lors des opérations de reconnaissance systématique des droits fonciers, sur 148 542 terrains mesurés, seulement 7 527 terrains, soit 5,1%, étaient reconnus par la communauté comme appartenant aux femmes. Des chiffres très bas, qui témoignent qu’avoir accès à la terre pour la burundaise est un vrai parcours du combattant. Et cela, pour trois grandes raisons.

La coutume, un handicap

La coutume burundaise est claire sur le sujet. De un, la Burundaise est exclue de l’héritage de la terre de leurs parents, réservée aux descendants mâles. Mais, pour garder le lien avec sa famille d’origine, au moment de la succession, les femmes se voient octroyer une petite portion de terre sous forme d’usufruit viager (igiseke), dont le droit expire à leurs décès, et n’est cependant pas transmissible à leurs descendants. De deux, les filles issues d’une descendance exclusivement féminine ne peuvent pas hériter une terre de leurs parents. Ce sont les oncles paternels qui partagent en pleine propriété cette terre au détriment des ayant droit. De trois, pour les femmes mariées, elles n’exercent pas non plus de droit de propriété sur les terres de leurs maris. Même en cas du décès du mari, la veuve ne peut pas hériter sa terre, encore moins s’elle a eu une descendance féminine seulement.

Des préjugés à déconstruire

Au-delà de la coutume, des préjugés entravent l’accès à la terre pour la femme burundaise. Un de ces préjugés serait que le droit à l’héritage pour les filles serait une injustice pour les garçons. En effet, comme l’explique Ntakiyiruta Léon, 62 ans, « les filles bénéficieraient d’une double succession, celle issue de leurs  parents et celle en provenance de leurs beaux-parents, alors que les hommes ne peuvent prétendre qu’au seul héritage dans leur propre famille ». Pour lui, le droit à l’héritage aurait pour conséquence la dislocation des familles, car « les femmes issues des familles avec des disponibilités foncières très limitées se verraient répudiées et les garçons chercheraient à épouser des filles de familles riches, disposant de propriétés foncières à hériter », conclu-t-il. Pour Pierre Nzinahora, 56 ans, vu que dans la culture burundaise est patriarcale, le droit à l’héritage rendrait la femme burundaise autonome, et risquerai de perturber les rapports sociaux de force entre les hommes et les femmes, sans oublier le respect que les femmes doivent aux hommes.Tous ces préjugés font que l’accès à la terre devient problématique pour la Burundaise.

L’absence de la loi sur la succession

Au Burundi, l’autre défi concerne l’absence d’un cadre juridique pour permettre l’accès, le contrôle et la jouissance des droits fonciers de la même manière aussi bien pour les hommes que pour les femmes. « Il n’y a pas de loi sur la succession, et en cas des litiges, c’est le droit coutumier qui est pris comme référence », explique Christine, un juge du tribunal de résidence de Gitega, avant de renchérir que même le code foncier burundais, adopté en 2011, n’a pas tenu compte de la question de la femme dans l’accès à la terre. Or, dans le droit coutumier burundais, la fille n’est pas considérée comme un enfant légitime, et le lien de filiation avec son père ne lui est pas reconnu. Elle vient en 5ème position dans la catégorie des successeurs légitimes et en 2ème position dans la catégorie des successeurs irréguliers, ce qui fait que juridiquement, il ne peut pas accéder à la terre.

Face à cette triste réalité, la réduction des barrières pour permettre la femme Burundaise un droit à l’accès à la terre est une nécessité.